OPIS
Vers la fin de l’année 1918, je passais mes derniers mois a Pétersbourg. J’?y attendais, muni de papiers illégaux, la possibilité de revenir en Pologne. […] Je parcourais les rues de cette ville, «?la plus abstraite des toutes?», en proie a la terreur révolutionnaire, parmi les gens souffrant de la famine. […] Pres de la statue de Pierre le Grand et des colonnes blanches du Sénat, j’?ai vu un vieux cocher barbu. En descendant du pont, perché sur la banquette d’un fiacre tout délabré, il poussait son cheval – rien que la peau sur les os. La pauvre bete traînait ses jambes a grand-peine. Je n’?ai pas pu me retenir?: je lui ai demandé pourquoi il attelait encore ce cheval qui était a l’article de la mort. Lentement, le cocher a tourné vers moi la tete et j’?ai vu que lui-meme était décharné comme un squelette ; seuls ses yeux luisaient d’un éclat étrange dans son visage émacié, sous le bord d’une casquette élimée. Il m’?a toisé et calmement, presque sans émotion, m’?a répondu?: «?Nous allons tous mourir?».
Regard contradictoire?: Rozanov-Mauriac